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Le fil

Lettre ouverte
 
 
 
O.,

    En pluie, tu viens à moi dans un élan magnifique, et tendrement et sincèrement  t’enquières de mon “amie de N.”, t’informes de ma disposition...

    La flamme qui dansait a vacillé. Fuligineuse, je ne voyais plus que ma force pour elle dans la volonté de comprendre et de la ménager, la bercer, la tenir dans ma chaleur : je croyais en la promesse de sa propre beauté à naître !
    Le désavantage de l’envers et contre tout _par amour, compassion, folie_ est de renforcer en soi le lien quand de l’autre côté ça n’est plus qu’un fil qu’on ne fait que tenir en main dans son vide vertigineux. Amour malade, qui cherche à aimer lui-même et soi-même à travers mes yeux poètes, mes veines rouges et bleues, la structure de bois tendre et brut et vaillante de ma pirogue d’ancien peuple, d’éternel chercheur d’îles. Faut-il qu’en ces latitudes les mers soient tristes, pour qu’une sirène-soeur n’ait pas eu la force de s’accouder à mon bord !

Est-il possible que les hommes soient perdus plus que moi, pour que la simple fleur d’un sourire clair soit ignorée,  que mon feu noir leur reste caché ?

    Et moi, O., qu’ai-je vu trop loin pour que je ne vienne pas à toi  ? Mais, non, je ne t’aime pas je te le dis encore, cru et vulgaire pour que tu saches bien que mon corps de cèdre, mes méninges rêveuses et “l’âme forte et sensible” que finalement tu y as trouvée ne s’accorderont pas aux tiens. Ta réalité est simple et franche quand la mienne vient de loin, revient d’apnées en eaux limpides comme sombres dont je rapporte sur la plage d’insolites objets, ici de quoi faire un feu, là une étoile, des éclats de verroteries_ tous trésors à chérir et à partager, quelles que soient les lames... Remarque qu’il n’y a pas  là de quoi remplir les soutes de ton navire au long cours ! Je voudrais te dire, parce que tu connais ma cohérence ou ma “rhétorique” : ça ira bientôt mieux puisque tu n’es qu’amoureuse. Et moi avec elle étais entré en amour, dans la croyance qu’elle aimerait avec moi ces trésors, à la grâce de  la rencontre connaissante de nos vingt doigts survoltés, des arcs électriques de nos corps-tempête, de nos sexes-croisière, de nos mots-fleuve. Pour cela je l’ai appelée Sorella. Tu  t’aperçois que tu ne comprends pas parce que tu ne sais pas, tu vois ? Elle, sait, mais ne comprend pas. C’est cette jetée qui toi et moi nous sépare à jamais ;  c’est ce pont qu’elle ne peut franchir.
 

Mais je suis là, franc et inquiet de toi. Seulement, je fais un long voyage en moi pour quitter la plage où j’ai ensablé le fil. Il noue ensemble mes menues trouvailles, mes rêves sans succès. Et je laisse à la marée le soin de les reprendre.

Fr

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